Des habitants fuient leur domicile alors que la violence des gangs s'intensifie à Port-au-Prince, en Haïti, le 9 mars 2024.

Port-au-Prince (AFP) - Les habitants de la capitale haïtienne se sont précipités pour se mettre en sécurité samedi après le dernier spasme de violence des gangs, un groupe des Nations Unies mettant en garde contre une "ville assiégée" après que des attaquants armés ont pris pour cible le palais présidentiel et le quartier général de la police.

Les groupes criminels, qui contrôlent déjà une grande partie de Port-au-Prince ainsi que les routes menant au reste du pays, ont semé le chaos ces derniers jours en tentant de renverser le Premier ministre Ariel Henry à la tête du pays le plus pauvre de l'hémisphère occidental.

Samedi, des dizaines d'habitants cherchaient refuge dans des bâtiments publics, certains ayant réussi à s'introduire par effraction dans un établissement, selon un correspondant de l'AFP.

Les troubles ont entraîné le déplacement de 362 000 Haïtiens – dont plus de la moitié sont des enfants et certains ont été contraints de se déplacer à plusieurs reprises, a déclaré samedi l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

« Les Haïtiens sont incapables de mener une vie décente. Ils vivent dans la peur, et chaque jour, chaque heure où cette situation perdure, le traumatisme s'aggrave », a déclaré Philippe Branchat, chef de l'OIM en Haïti, dans un communiqué.

« Les gens qui vivent dans la capitale sont enfermés, ils n’ont nulle part où aller », a-t-il déclaré. « La capitale est entourée de groupes armés et de danger. C'est une ville assiégée.

Véhicules carbonisés dans la rue au milieu de la violence des gangs à Port-au-Prince, Haïti, le 9 mars 2024

La police a repoussé vendredi soir les attaques des gangs, notamment contre le palais présidentiel, et plusieurs « bandits » ont été tués, a déclaré Lionel Lazarre du syndicat de la police haïtienne. Aucun policier ne figurait parmi les victimes.

Les violences ont laissé des véhicules incendiés et encore fumants devant le ministère de l'Intérieur et dans les rues avoisinantes, a constaté un correspondant de l'AFP.

Des coups de feu ont retenti vendredi soir dans tout Port-au-Prince et des témoins ont raconté des affrontements « entre policiers et bandits » alors que des gangs tentaient apparemment de réquisitionner les commissariats de police du centre-ville.

Lazarre a plaidé samedi pour « des moyens et des équipements » pour protéger les bâtiments de la police et d’autres installations clés.

- État d'urgence -

Les gangs bien armés ont attaqué des infrastructures clés ces derniers jours, dont deux prisons, permettant à la majorité de leurs 3 800 détenus de s'échapper.

Une femme âgée, touchée par une balle dans le pied, gît dans la rue à Port-au-Prince, en Haïti

Aux côtés de quelques Haïtiens ordinaires, les gangs cherchent à obtenir la démission du Premier ministre Henry, qui devait quitter ses fonctions en février mais a plutôt accepté un accord de partage du pouvoir avec l'opposition jusqu'à la tenue de nouvelles élections.

Les États-Unis ont demandé à Henry de mettre en œuvre des réformes politiques urgentes pour éviter une nouvelle escalade. Il se trouvait au Kenya lorsque les violences ont éclaté et serait désormais bloqué sur le territoire américain de Porto Rico.

Après des mois de retard, le Conseil de sécurité de l'ONU a finalement donné son feu vert en octobre à une mission multinationale de police dirigée par le Kenya, mais ce déploiement a été bloqué par les tribunaux kenyans.

Port-au-Prince et l'ouest d'Haïti ont été placés sous l'état d'urgence pendant un mois et un couvre-feu nocturne était en vigueur jusqu'à lundi, même s'il était peu probable que la police, surchargée, puisse le faire respecter.

L’armée américaine a déclaré dimanche matin qu’elle avait « mené une opération visant à renforcer la sécurité de l’ambassade américaine à Port-au-Prince, à permettre la poursuite des opérations de notre mission et à permettre au personnel non essentiel de partir ».

"Ce transport aérien de personnel vers et depuis l'ambassade est conforme à nos pratiques habituelles", ajoute le communiqué du commandement militaire Sud.

- 'S'enfuir' -

A Port-au-Prince, Filienne Setoute a raconté à l'AFP avoir travaillé pendant plus de 20 ans au ministère des Affaires sociales et du Travail.

Ce travail, dit-elle, lui a permis de « construire ma propre maison. Mais maintenant, me voilà, sans abri. Je m'enfuis sans savoir où aller, c'est un abus.»

Des habitants quittent leur domicile au milieu des violences à Port-au-Prince, en Haïti, le 9 mars 2024.

« Nous n'avons pas pu dormir depuis hier soir », a-t-elle ajouté. "Nous fuyons."

L'aéroport d'Haïti est resté fermé tandis que le port principal – un point clé pour les importations alimentaires – a signalé des pillages depuis la suspension des services jeudi, malgré les efforts visant à mettre en place un périmètre de sécurité.

"Si nous ne pouvons pas accéder à ces conteneurs (pleins de nourriture), Haïti va bientôt souffrir de la faim", prévient l'ONG Mercy Corps dans un communiqué.

La CARICOM, une alliance de nations caribéennes, a convoqué des envoyés des États-Unis, de la France, du Canada et des Nations Unies à une réunion lundi en Jamaïque pour discuter de la violence.

Le président du Guyana, Irfaan Ali, a déclaré que la réunion aborderait « des questions cruciales pour la stabilisation de la sécurité et la fourniture d'une aide humanitaire d'urgence ».

La violence menace les plus vulnérables du pays, notamment les femmes enceintes et les survivants de violences sexuelles, alors que le système de santé s'effondre.

Branchat, de l'OIM, a déploré les attaques de gangs contre les hôpitaux et le manque « criant » de services de santé mentale.

"Certains hôpitaux ont été envahis par des gangs et ont dû évacuer le personnel et les patients, y compris les nouveau-nés", a-t-il déclaré.

« Les professionnels de la santé de la capitale tirent la sonnette d’alarme car leur capacité à fournir même les services médicaux les plus élémentaires est gravement diminuée. »