L'artiste français Pierre Soulages, photographié en 2014, est connu pour son utilisation intensive du noir dans son travail

Paris (AFP) - L'abstrait français Pierre Soulages, décédé à l'âge de 102 ans, était le Henry Ford de la peinture : pour lui, il n'y avait qu'une seule couleur, le noir, et il a passé sa vie à en explorer la lumière.

« J'aime l'autorité du noir, sa sévérité, son évidence, sa radicalité », déclare le grand peintre lui-même toujours vêtu de noir.

« C'est une couleur très active. Il s'allume quand vous le mettez à côté d'une couleur sombre", a-t-il déclaré à l'AFP dans une interview en février 2019.

La mort de Soulages a été confirmée mercredi à l'AFP par son ami de longue date Alfred Pacquement, également président du musée Soulages dans le sud de la France.

Les œuvres de l'artiste français le plus vendu ont coûté des sommes à sept chiffres, avec une toile de 1960 à rayures noires épaisses vendue aux enchères au Louvre pour 10,5 millions de dollars en 2019.

Un nom connu en France mais moins connu à l'international, ses peintures sont exposées dans plus de 110 musées à travers le monde, dont le Guggenheim de New York et la Tate Gallery de Londres, avec des centaines d'autres au Musée Soulages dans sa ville natale de Rodez, dans le sud du pays.

Pour ses 100 ans en décembre 2019, il a eu droit à une rétrospective au Louvre – un honneur rare pour un artiste vivant.

- Au-delà du noir -

L'artiste français Pierre Soulages, devant l'une de ses pièces en 2010, a été l'un des artistes les plus titrés du pays de son vivant

Soulages intitule toutes ses pièces "Peinture", ou "Painting" en anglais, les distinguant ensuite par leur taille et leur date de production.

Vers 60 ans, il passe du noir à la réflexion de la lumière à partir du noir - une technique qu'il appelle "outrenoir" ou "beyond black" en anglais.

Cela impliquait de gratter, creuser et graver d'épaisses couches de peinture avec du caoutchouc, des cuillères ou de minuscules râteaux pour créer différentes textures qui absorbent ou rejettent la lumière, l'emmenant dans ce qu'il appelait un «pays différent» du noir uni.

Mesurant 1,9 mètre (six pieds 2 pouces), «son langage corporel est souvent décrit dans les mêmes termes que ses peintures: fort, vital, puissant», notait le New York Times en 2014.

Des célébrités hollywoodiennes, dont Alfred Hitchcock, auraient récupéré ses œuvres.

- Obsession noire -

Né le 24 décembre 1919, il était même, enfant, obsédé par l'éclat sombre de l'encre.

Avec toutes ses "marques noires sur le papier", sa mère le taquinait en lui disant qu'il "pleurait déjà sa mort", a-t-il déclaré dans l'interview à l'AFP.

Il a montré ses premières œuvres peu après la Seconde Guerre mondiale en 1947.

Alors que ses contemporains et amis, comme Hans Hartung et Francis Picabia, s'adonnent à la couleur, il opte pour le brou de noix utilisé sur les meubles pour créer des œuvres géométriques sur papier ou sur toile.

Pendant un certain temps, il a même essayé des barbouillages de goudron noir sur du verre.

L'artiste français recordman Pierre Soulages, photographié en 1981, a tout un musée dédié à son travail dans sa ville natale de Rodez

À 33 ans, Soulages expose à la prestigieuse Biennale de Venise en 1954 et tient sa première exposition solo à New York deux ans plus tard.

Le noir n'était pas seulement son obsession, a-t-il dit, se demandant : "Pourquoi les gens de la préhistoire dessinaient-ils en noir à l'intérieur de grottes noires alors qu'ils auraient pu utiliser de la craie ?"

Soulages était également connu pour son perfectionnisme : s'il n'était pas satisfait à 100 % d'un tableau, « je brûle la toile à l'extérieur. Si c'est médiocre, ça passe", a-t-il déclaré à l'AFP.

Il laisse dans le deuil son épouse depuis 80 ans, Colette.